Mangeurs d'avenir
Publié le 12 Février 2009
Pour cette reprise, j'aimerais vous parler d'un festival auquel j'ai eu la chance d'assister début janvier. Il s'agissait de fêter les 30 ans des Jardins de Cocagne, la première initiative d'agriculture contractuelle de proximité (AMAP en France) d'Europe, fondée à Genève en 1978 déjà. Pour l'occasion, un festival très intéressant sur le thème de la souveraineté alimentaire a été organisé, intitulé "Mangeurs d'avenir".
Cet article en sera un petit compte-rendu. Rien d'exhaustif mais quelques notes prises au vol, et surtout l'occasion de donner les références des films documentaires présentés, qui posent les bonnes questions et mettent le doigt là où notre système alimentaire fait mal... A voir, car nous sommes tous concernés.
Pour commencer le festival, projection du reportage accablant de Marie-Monique Robin sur la mainmise mondiale et les procédés terrifiants utilisés par la tristement célèbre société productrice d'OGM :
"Le Monde selon Monsanto" , de Marie-Monique Robin, France, 2007
Je l'avais déjà vu 2 fois (TSR2 et Arte), et j'ai donc zappé la projection, mais assisté au débat qui a suivi en présence de la réalisatrice.
Si vous ne l'avez pas encore vu, je ne peux que vous conseiller de le faire au plus vite. La bande annonce, divers extraits et même le film en entier sont disponibles sur le net.
Quelques points importants abordés lors du débat : "Paysans ou multinationales. Une agriculture à dimension humaine est-elle encore possible ?"
* Les méthodes de l'entreprise ont été largement débattues. Fausses promesses faites aux agriculteurs; publicités mensongères; rachat de tous les semenciers et situation de monopole, violant la loi anti-trust (en Inde par exemple, impossible désormais de trouver d'autres graines de coton que celles de Monsanto); interdiction de réutiliser les semences l'année suivante forçant les agriculteurs à en racheter chaque année; méthode de dissémination sauvage de plantes OGM, véritable strarégie de contamination organisée; contrebande de semences OGM dans les pays les interdisant; etc...
* Pas de possibilité de revenir en arrière, les OGM contaminant les autres champs (le colza par exemple est très sensible à la contamination). La filière traditionnelle disparaît à grande vitesse et la biodiversité est menacée (voir le maïs au Mexique par exemple).
* L'insistance a bien été faite sur la différence entre les OGM actuellement plantés dans les champs (soja, colza, maïs et coton), qui sont des plantes pesticides (80 % sont conçues pour résister au roundup -puissant désherbant extrêmement toxique, produit par... Monsanto- les autres 20% sont conçus pour fabriquer une protéine insecticide nommée Bt) et les OGM potentiellement intéressants, comme les plantes résistantes à la sécheresse, mais qui n'existent pour l'instant pas et qui ne sont apparemment pas prêtes à voir le jour...
* Il est extrêmement dangereux de considérer les denrées alimentaires comme de simples produits commerciaux : l'alimentation est un droit ! Mais les révolutions vertes ont introduit la mondialisation dans nos assiettes et favorisé les variétés à haut rendement au détriment de la qualité. Le modèle désormais prôné est le suivant : peu d'agriculteurs mais avec de grandes surfaces. Les paysans deviennent des industriels de la terre...
* Les liens entre alimentation et santé ont également été abordés. Ainsi, depuis la 2ème guerre mondiale, pas moins de 106'000 molécules chimiques (pesticides, désherbant,...), non testées, ont été mises sur le marché. Il n'est sans doute pas anodin de rappeler que les producteurs de ces produits chimiques sont les mêmes qui produisent les molécules pharmaceutiques... Une véritable contamination chimique est en cours, l'explosion des cas de cancers chez les agriculteurs en est un signe. Une étude réalisée sur le sang de 500 nouveaux-nés a montré que chez tous, il y avait des traces de pesticides, dioxynes et même de PCB, pourtant interdits depuis 30 ans !
* Dernier point très intéressant : l'importance de la prise de conscience des consommateurs et leur pouvoir, en alliance avec les agriculteurs, face aux distributeurs. C'est d'ailleurs valable pour tous les produits de consommation. Il faut nous réemparer de ce qu'il y a dans nos assiettes, recréer le lien entre consommateurs et agriculteurs. Quand il y a une demande, il y aura toujours des solutions pour les satisfaire. A nous d'en être conscients et d'en faire bon usage !
Pour bien finir la première soirée du festival et faire de beaux rêves, projection de "Notre pain quotidien", de Nikolaus Geyrhalter, Autriche, 2007
Documentaire sans parole et sans commentaire, et il n'y en a vraiment pas besoin : les images suffisent amplement...
Ce documentaire fait partie des films que tout le monde devrait voir au moins une fois, histoire de bien se rendre compte d'où provient et comment est produit ce qui atterrit dans nos assiettes tous les jours... C'est édifiant !
L'industrialisation n'a vraiment aucun respect, ni pour les ouvriers (conditions de travail minables), ni pour ce qu'elle produit : végétaux arrosés de substances chimiques, plantés hors-sol sous serres, aucun suivi des saisons ni d'un quelconque cycle naturel. Animaux "produits" en masse, parqués, triés comme des pièces mécaniques, abattus et dépecés à la chaîne par des ouvriers au regard vide et blasé... Brrr...
*** Deuxième jour ***
"Simplicité volontaire et décroissance" de J.-C. Decourt, France, 2007
Bonne introduction aux notions de simplicité volontaire et de décroissance.
Quelques notes en vrac, concernant surtout l’alimentation.
La conscience de citoyen doit l’emporter sur le consommateur, dans une société qui perd le sens des limites et qui fonctionne sur l'idée d'une croissance infinie.
En considérant la superficie totale de la Terre, il y aurait 1,8 hectares bio-productifs disponible par personne (pour une population de 6 milliards d’êtres humains). L’empreinte écologique d’un français serait actuellement de 4,8 hectares, celle d’un états-unien de 9,6, hectares contre 1,1 hectare en moyenne en Afrique.
La publicité créée de faux manques, nous rendant insatisfait de ce que nous avons,et nous faisant désirer ce dont nous n’avons pas besoin. Tout se définit désormais par l'argent, nous avons perdu toute notion de gratuité et créons les conditions de notre propre aliénation.
Il est fondamental de connaître nos ressources et de respecter leurs limites. Produire moins mais mieux, valoriser le qualitatif et non le quantitatif, réduire le gaspillage et les consommations inutiles, retrouver le bon usage des choses et redécouvrir les vraies saveurs.
"Paroles de paysans", de F. Ferrari et E. Simon, France, 2006
La parole est donnée à des paysans qui s’interrogent, se battent pour une agriculture plus juste, plus humaine, plus respectueuse de l'environnement.
Pour un producteur, maîtriser les coûts n’est possible que lorsqu’il fait de la vente directe, pour des produits sur lesquels il contrôle le filière complète, du début à la fin. D’où l’intérêt, pour les producteurs comme pour les consommateurs de développer le marché local, qui permet de garder des prix bas mais justes. Cela permet également d’éviter l’énorme gaspillage dû au calibrage par exemple.
La culture biologique (seulement 2% d’agriculteurs français font du bio), veillant à la qualité environnementale et des produits, n’est pas soutenue. Elle produit moins mais permet de retirer plus de marge grâce à des charges moindres (pas de pesticides ni d’engrais qui coûtent chers), et ce, sans subventions qui pour l’instant vont à une agriculture qui coûte cher à la société (pollution des sols, de l’eau, répercussions sur la santé des agriculteurs et des consommateurs,…).
Les petites exploitations disparaissent depuis que les agriculteurs sont devenus des producteurs de matière première pour l’industrie agro-alimentaire. En France, plus de 12'000 exploitations disparaissent chaque année.
"Au Cœur de la Proximité", de N. Petitpierre, Suisse, 2009
Film documentaire sur l'agriculture contractuelle de proximité (ACP, équivalent des AMAP en France) en Suisse romande, qui a été tourné durant l’été 2008.
Les Jardins de Cocagne, fondés en 1978, sont la première initiative contractuelle de proximité d’Europe. Aujourd'hui, plus de 420 ménages genevois reçoivent leurs paniers hebdomadaires de fruits et légumes.
L’idée était d’offrir de bons produits à des prix abordables mais justes, fixés selon les heures de travail nécessaires à leur production.
Contre les exigences croissantes de la grande distribution, les producteurs se réapproprient la chaîne de production et les marges, tout en écoulant tous leurs fruits et légumes, sans calibrage. Cela crée des liens entre la ville et la campagne, permet de cultiver en plus petite quantité tout en offrant plus de choix, et un échange direct avec les consommateurs.
En mars 2008, création d’une fédération romande d’ACP, réunissant 21 projets et plus de 7'000 coopérateurs.
"Nos enfants nous accuserons", de J.-P. Jaud, France, 2008
Le modèle alimentaire moderne est dans l'impasse. Ce film essaie de démonter que des alternatives sont possibles : cantines bio et jardinage à l'école pour sensibiliser les enfants et leur faire retrouver le lien avec ce qu'ils mangent, alimentation saine et diversifiée, moins de superflu et plus d'essentiel.
Quelques chiffres :
* La pollution chimique serait responsable de 70% des cancers : 30% dus à la pollution environnementale et 40% dus à la pollution alimentaire. Des milliers d'articles scientifiques ont été publiés, mais peu pris en compte
* En 100 ans, 75% des espèces comestibles ont disparu
* En 25 ans, augmentation de 93% des cancers
* 140 millions de tonnes de pesticides sont utilisés par an dans le monde
* Une pomme reçoit en moyenne 27 traitements chimiques
* Les problèmes de surpoids/obésité/diabète ont triplés en 20 ans
* L'alimentation est pour 30% responsable du réchauffement climatique.
Consommer bio n'est donc pas une question de prix, mais de prise de conscience et de santé. La production conventionnelle coûte en réalité 3 à 4 fois plus cher, mais ces frais sont externalisés vers les impôts, notamment dans les subventions (pour la France, 9,5 milliards d'euros par an). et le prix de la pollution ,des eaux et du sol notamment, est également à ajouter. Ils sont donc en réalité beaucoup plus chers que les produits bios.
A nouveau, le consommateur est le déterminant par ses choix !
*** Troisième jour ***
"Miel ou déconfiture", D. Auclair, Suisse, 2008
Sur toute la planète, les abeilles dépérissent, victimes d’un mal mystérieux. Les abeillles vont-elles disparaître ? L'homme est-il responsable de cette catastrophe ? Pouvons-nous vivre sans abeille ? Plongeons dans l'intimité de la ruche !
Je n'ai malheureusement pas vu ce petit documentaire de 28 minutes, mais je me suis rattrapée en achetant le numéro spécial de La Salamandre sur La révolution des abeilles.
"Bio attitude sans béatitude", O. Sarrasin, France, 2006
Une culture sans produits chimiques est possible, plus respectueuse de l'environnement, des agriculteurs et des consommateurs. Ce film documentaire nous mène à la rencontre de paysans passés à la production bio dans différentes régions de France.
* Dès 1945, les méthodes de production agro-alimentaire américaines ont été introduites en Europe. Et qui dit agriculture productiviste dit engrais, pesticides, herbicides, bref, multiplication des sources d'exposition aux pollutions chimiques. Les enfants nés entre 1970 et 1985 sont ceux qui ont été les plus touchés par une exposition massive à l'état foetal. Or, c'est à l'état foetal que l'organisme est le plus sensible et les gènes programmés. Les effets immunologiques et neurotoxiques sont réels, impliquant des problèmes dans les fonctions reproductrices, des cancers et des risques accrus d'obésité et de diabète.
* Le sol est normalement constitué à 80% de masse vivante (biomasse), permettant de nourrir les plantes correctement. Les méthodes de culture intensives affaiblissent le sol, qui ont alors besoin d'engrais, et des sols affaiblis donnent des plantes malades, qui ont alors besoin de divers traitements, préventifs et curatifs.
Si la production bio présente un bilan sanitaire bien meilleur, les aliments contiennent également 20 à 30% de substances nutritives de plus que les produits conventionnels.
* Les fruits arrivés à maturité sont fragiles et exigent des circuits de distribution courts. Ce qui permettrait d'éviter, par exemple, l'utilisation de colorant pour faire paraître les abricots mûrs, puis sur les mêmes, l'utilisation de retardant pour les conserver plus longtemps, ou d'innonder les fraises de fongicides pour leur faire supporter de longs transports... De plus, en rétablissant des circuits de consommation courts, les contacts sont privilégiés, la traçabilité augmentée et les prix diminués par la limitation des intermédiaires.
* L'économie de marché détruit les petites exploitations. Au nom du commerce, de nombreuses cultures vivrières ont été abandonnées, déséquilibrant la souveraineté alimentaire des paysans et les rendant dépendants des cours du marché. La standardisation menace également la biodiversité.
* Un producteur laitier explique pourquoi il a décidé de changer de mode de production, pour devenir producteur bio. Auparavant, il nourrissait ses vaches avec du soja à bas prix, très riche en protéines afin d'avoir une surproduction laitière. Ce soja pousse au Brésil, où des paysans ont été expulsés de leurs terres afin de créer ces gigantesques monocultures destinées à l'exportation. Cela déstabilise complètement la production locale et crée de la pauvreté. Et comme grâce à ces protéines de soja, le lait est en surproduction, le surplus est transformé en poudre de lait, revendu au Tiers Monde... Il s'agit bien là d'une aberration totale, créant puis profitant de la pauvreté, que ce producteur ne voulait plus cautionner.
* Mais alors que faire ? Ne pas consommer ce que nous ne cautionnons pas, tout simplement. Acheter est un acte politique qui nous implique, il y a une réelle prise de conscience à avoir. Pouvoir consommer bio et de proximité est un droit que nous devons faire valoir.
"Pesticides non merci", J.-P. Vincent, M. Crozas et M. Peyronnaud, France, 2008
Voir le film.
Ce documentaire nous rappelle la présence de produits chimiques partout dans notre environnement quotidien : alimentation, maison, jardin, eau,...
* Certains cancers sont beaucoup plus fréquents chez les agriculteurs (et leurs enfants). De nombreuses études démontrent les dangers de ces produits, mais on ne croit pas ce que l'on sait. Cette attitude est criminelle, mais les intérêts industriels sont énormes et le problème difficile à résoudre.
* Dans le sang de nouveaux-nés, près de 300 substances chimiques ont été décelées, dont 200 substances toxiques et 187 potentiellement cancérigènes. Sachant que l'effet de produits utilisés il y a 20 ans ne sont constatés qu'aujourd'hui, et que l'exposition à de faibles doses sur le long terme n'est quasiment pas étudié par la science moderne, le constat n'est pas très rassurant.
* Il n'y a pas de transparence sur les analyses et tests pratiqués, et 'évaluation de l'impact sanitaire est fait par des entreprises privées : la recherche publique n'a pas les moyens de vérifier. Les doses de seuil ne sont données qu'à titre indicatif, il n'y a pas de calcul scientifique permettant de les déterminer, et pas de tests d'effets combinés, mais uniquement sur une seule substance active.
* Il est pourtant possible de légiférer sur l'utilisation des pesticides, et de limiter leur usage. En Suède par exemple, une diminution de 50% de l'utilisation des pesticides a été opérée avec succès ! Les mouvements de consommateurs sont très importants, et la responsabilité du citoyen-consommateur peut être décisive.
Et pour clore le festival sur une note un peu plus positive :
"Terre vivante", J.-F. Vallée, France, 2005
Pourquoi les agriculteurs mettent leur charrue à la casse et comment ils ont arrêté de labourer, pour laisser revivre une terre qui 'travaille alors largement toute seule'.
Rien de moins qu’une révolution ! Des paysans bretons, aux prises avec des terres appauvries, lessivées, polluées et polluantes, cessent de labourer pour pratiquer le semis direct. Ils ont pris exemple sur les agriculteurs brésiliens qui ont adopté cette méthode il y a des décennies, eux-mêmes inspirés par des agriculteurs états-uniens aux prises avec le Dust Bowl du Midwest dans les années 1930. Résultat : la terre travaille presque toute seule, sans s’épuiser, sans polluer, favorisant la santé écologique locale tout en donnant d’abondantes et saines moissons. Par conséquent, les paysans ont aussi plus de temps à eux et en profitent pour partager leur expérience avec des agriculteurs d’ailleurs. La contagion par l’exemple, tranquillement, inexorablement. Un film avec des paysans, fils de paysans, et des vers de terre.
Présentation par des paysans bretons de cette drôle de technique très intéressante :
* Le semis direct crée un tapis de résidus qui amortit l'arrivée de l'eau. En gardant de la substance organique sur le sol, l'eau ne ruisselle plus mais s'infiltre, il y a alors limitation de l'érosion et plus besoin d'apport d'engrais supplémentaire.
* Les rendements augmentent et les coûts de production sont réduits par deux. La pratique de l'interculture, utilisée pour le fourrage par exemple, et de la rotation des cutures, pompe l'excédent de nitrates, empêche la prolifération de "mauvaises" herbes et travaille le sol. C'est le système racinaire des plantes qui travaille le sol, et plus les outils.
* Cela nécessite de bien connaître les plantes, leur complémentarité et de savoir les gérer. Mais permet aussi de redécouvrir qu'il y a de la vie dans les champs en épargnant les insectes et autres petits animaux ! L'agriculture redevient écosystème plutôt qu'agrosystème.
Voilà pour ce compte-rendu de festival. Mais rendez-vous tout bientôt pour de nouvelles recettes, faisant la part belle aux légumes d'hiver !